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Monsieur Potiron imprime des billets

Génération Z détaillait dernièrement les mécanismes d’assouplissement quantitatif mis en place dans un contexte de stagflation et de mondialisation. Mais quel est le vrai plan de la BCE ? Et l’inflation peut-elle rebattre les cartes ?

Ces révolutions opérées par la banque centrale sont-elles simplement une réponse à la conjoncture ou un changement prémédité dont le covid fut une excuse ? Il semblerait que la BCE ait en réalité de la suite dans les idées et qu’elle poursuive une variation de la Théorie Monétaire Moderne (TMM). La TMM est une théorie selon laquelle l’origine de la monnaie serait le monopole de la violence légitime de l’État, qui lui permet d’imposer des taxes dans une certaine devise dont il a le contrôle [1]. Dans le cadre de la TMM, la devise est créée par la banque centrale (et non pas les agents économiques du privé) et détruite par la fiscalité (qui ne sert qu’à réduire les inégalités ou moduler la demande de devise pour contrôler l’inflation, et non à financer l’État). Il s’ensuit que le déficit n’est plus un manque à combler [2] mais un moyen pour l’État d’abonder le secteur privé de sa devise, la dette représentant l’épargne du secteur privé. 

Mais que veut faire Mme Lagarde de tout cet argent magique ? Ce 29 Juin, au forum économique de Bruxelles, elle livrait son plan de marche : « lorsque la pandémie sera terminée, notre tâche ne sera plus de préserver l’économie mais de la transformer. Ceci nécessitera que nous redirigions les dépenses des secteurs publics et privés vers les secteurs verts du futur. Spécifiquement, nous avons besoin de voir s’investir environ 330 md€ par an jusqu’en 2030 ». Non, vous ne rêvez pas, des fonctionnaires tout-puissants (et non-élus) échafaudent des plans pour piloter une économie dans un but idéologique. Cette soviétisation s’accompagnera également d’une « union des marchés de capitaux verts qui transcenderait les frontières nationales » c’est-à-dire de l’émission de dette collective dans le but inavoué [3] mais évident de généraliser les endettements collectifs pour générer le fameux « moment Hamiltonien » [4]  dont rêvent les européistes depuis toujours.

Ainsi, comme souvent avec la BCE, rien n’est économique, tout est politique. Depuis ses origines, l’UE est travaillée par deux tensions antagonistes : les tenants d’une Europe sociale et ceux d’une Europe néolibérale. La réconciliation de ces deux groupes de technocrates se faisant d’ordinaire sur leur cosmopolitisme partagé. Ainsi, on peut douter que des vrp de l’austérité et de la mondialisation heureuse comme Macron ou Merkel soient réellement enthousiasmés par la TMM et une planification de l’économie. On observe d’ailleurs que le plan de relance Français est une façade à la Potemkine. Sur 100 md€, la France en remboursera 40 directement, tandis que 30 étaient déjà budgétés (comme la hausse de l’allocation de rentrée scolaire ou le plan de soutien à l’automobile). Les 30 autres proviendront (tous au mieux) des coronabonds dont le taux de rémunération à l’émission était de -0,26% et donc moins avantageux qu’un emprunt classique pour la France (qui empruntait à -0,33% à ce moment-là). Ces €30md seront dépensés à partir de 2021 et sur 2 ans soit au rythme moyen de €15md par an (6% du budget annuel de l’État) [5]. Autrement dit, il n’y a pas de plan de relance, il y a un coup politique de Macron et Merkel pour noyer les velléités eurosceptiques des peuples (italien notamment) dans un océan d’annonces de subventions sans réelle substance [6].

La toute-puissance de la BCE nous achemine malgré nous inexorablement vers le piège européiste tendu par l’équipe Delors il y a 30 ans. Lors de la mise en place de l’eurozone, il a été convenu que la BCE serait indépendante. Ainsi, Delors et Attali ont fait le pari que l’UE dysfonctionnerait, et qu’une construction politique de l’Europe serait requise, nous conduisant au fédéralisme [7]. Se retrouvant par son indépendance dans les mains d’une petite élite abusant de la politique monétaire expansionniste, la BCE risque bel et bien de conduire les peuples à réclamer un contrôle politique de l’institution [8] qui peut aboutir sur les États-Unis d’Europe. Si la France est le principal moteur fédéraliste de l’UE depuis Giscard, gouvernée par Zemmour elle saurait retrouver ses fondamentaux gaullistes et s’appuyer sur les pays du Sud et de l’Est pour bâtir une Europe des nations, protectionniste et démocratique.

Enfin, même dans le cadre de la TMM, la création de la monnaie par l’endettement est limitée par l’inflation. Mais va-t-elle revenir ? La hausse des prix du fret et des matières premières (container 20 pieds +400% et 40 pieds +500%, acier +150%, bois épicéa +170%, semi-conducteurs +80%, plastique PET +30%, pétrole Brent +200%…) semble n’être que conjoncturelle et l’effet d’un rattrapage entre une offre mise à mal par l’arrêt des chaînes de production et une demande en hausse après la sortie du confinement. La vitesse de circulation de la monnaie [9] continue sa chute libre due au QE. On peut craindre la brutale transition écologique imposée par l’UE qui passera par une perte de rendement énergétique naturellement inflationniste, ou la baisse de la concurrence due à la consolidation de certains secteurs. Enfin, une question se pose vis-à-vis de l’Asie, atelier du monde et acteur majeur de la stagflation trentenaire. D’une part, on peut penser que le vieillissement et l’augmentation des salaires y causeront une hausse du prix de la main-d’œuvre. D’autre part, on peut imaginer que la robotisation et la poursuite de l’exode rural maintiendront les salaires à des niveaux modestes. 

Quoi qu’il en soit, il semble que la star de l’année 2022 sera l’inflation. 

Paul SM
Rédacteur

1 Alors que, selon les théories classiques, la monnaie serait l’évolution naturelle d’un système de troc.

2 Comme le prévoit l’équivalence néo-ricardienne

3 En fait pas si inavoué que ça car Lagarde poursuit : « Si nous réussissons, cela ne fera pas qu’accélérer la transformation de nos économies, cela motivera la généralisation des marchés unifiés de capitaux car nous aurons testé et mis en place certaines des mesures nécessaires pour progresser vers une telle intégration. Cette double opportunité est trop belle pour ne pas être saisie »

4 Le Moment Hamiltonien renvoie à l’année 1790 aux États-Unis, quand le premier secrétaire au Trésor Alexander Hamilton organisa la reprise par le gouvernement fédéral des dettes contractées par les États américains ce qui favorisa l’émergence de l’État fédéral américain. 

5 Le Monde (Octobre 2020). Pourquoi le plan de relance en France ne sera pas vraiment de 100 milliards d’euros en 2021 et 2022 — Eléa Pommiers. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/10/20/pourquoi-le-plan-de-relance-ne-sera-pas-vraiment-de-100-milliards-d-euros-en-2021-et-2022_6056745_4355770.html>

6 D’autant plus que, pour le plan de relance Français, 33% seront fléchés vers de chimériques projets « verts » et seuls 25% iront en soutien des entreprises (y compris étrangères).

7 J. Attali : « Nous sommes confrontés à une situation qui était prévue. Nous savions très bien quand on a fait la monnaie unique que ça ne marcherait pas. Il n’y a jamais eu dans l’Histoire une monnaie sans État. Une monnaie sans État, ça explose. L’heure de vérité elle est là. On va plus haut vers une fédération européenne. En écrivant le traité de Maastricht, on a fait en sorte que sortir ne soit pas possible. Ce n’était pas très démocratique mais ça nous force à avancer vers cet échelon-là » (2011, UPP de Ségolène Royal)

8 Le 5 mai 2020, la cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe s’est érigée contre la politique monétaire de la BCE au nom des épargnants allemands. Si cette annonce peut sembler un coup d’arrêt à l’intégration européenne, bien instrumentalisée par les élites européistes, elle pourrait être volontairement interprétée comme étant une volonté de contrôler la BCE politiquement et mener à un fédéralisme européen.

9 La vitesse de circulation de la monnaie (VCM) mesure le nombre de fois où une unité monétaire est utilisée (par rapport à une masse monétaire). En 2020, la VCM de l’eurozone était de 2,14xMB, 1,05xM1, et 0,78xM2 représentant respectivement une évolution de -75%, -38%, et -23% depuis 2014.

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