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Dette : Mais de quoi parlons-nous

Qu’est-ce que la dette ? Comment l’appréhender et la concevoir ? Quels principes doivent structurer les politiques publiques dans ce domaine ? Génération Z revient sur ce qui sera un des enjeux de premier plan de la campagne présidentielle. 

Il est important de sortir de cette pensée magique, manichéenne, de ceux qui voient la dette comme un sous-problème, ou de ceux qui la voient comme l’horizon indépassable de toute politique économique. Nous nous efforcerons au cours de cet article d’analyser les faits, sans oublier de définir les notions-clés pour permettre une compréhension à la fois synthétique et globale des enjeux. Il conviendra ensuite de comprendre le fonctionnement de cette dette, son évolution et sa gestion, puis quels sont les risques d’une trop grande quantité de dette et comment jauger cette « trop grande quantité ».

Éléments généraux

Tous les journaux, toutes les chaines en parlent : la dette, agitée comme un épouvantail, terrorise la population. Mais de quoi parle-t-on ? Pour simplifier le plus possible, financièrement parlant, la dette est un montant qu’un agent économique (une personne physique ou morale) qui se nomme débiteur, doit à un autre agent, le créancier. Ce montant, pour que la dette soit honorée, doit être remboursé à une certaine échéance prévue entre les deux agents. Dans le cadre de ces échanges sont prévus des intérêts, c’est-à-dire un revenu dû par le débiteur au créancier, par l’emprunteur au prêteur. 

Une fois cette base posée, nous pouvons avancer vers le centre de ce notre sujet, le financement de l’État, car c’est bien de cela qu’il s’agit lorsque nous parlons de dette publique. L’État, quand les impôts ne suffisent pas, peut se financer en émettant ce que l’on nomme des « obligations », c’est-à-dire une créance. Contrairement à un emprunt « classique », une obligation est remboursée uniquement à date d’échéance. Cela veut dire que le créancier ne touche que les intérêts pendant le temps du prêt, et à l’issu de ce prêt est remboursé de la totalité de l’obligation. C’est le point central du financement des États. 

Il est normal qu’un État s’endette : quand un investissement lourd est à prévoir, l’État n’a pas toujours le « matelas financier » nécessaire et doit parfois demander une aide externe pour réaliser des dépenses. Le problème n’est donc pas l’existence d’une dette mais plutôt son utilisation. Une dette servant à combler les déficits d’un État qui dépense trop est de toute évidence plus néfaste qu’une dette utilisée pour consentir à un investissement qui par définition est censé créer de la richesse. 

Evolution de la dette Française

En 1945, suite à l’occupation allemande et aux dépenses de guerre, la dette française est de 160% du PIB (ce ratio permet d’évaluer l’ensemble de la dette publique sur l’ensemble de la richesse créée). Suite à la reconstruction du pays qui crée une forte croissance et donc une hausse des recettes de l’État, une grande part des obligations est rapidement remboursée, au point que la dette retombe à 30% du PIB en 1950. Cette baisse de la part de l’endettement continue de manière linéaire jusqu’en 1969, où elle tombe même à moins de 14% par rapport au PIB. C’est là la fin de l’idylle entre le désendettement de l’État et la France. 

Dès Pompidou, le niveau d’endettement remonte et les « Trente Glorieuses » s’achèvent. Les chocs pétroliers frappent de plein fouet les économies européennes sous la présidence Giscard. Pour prévenir une envolée de la dette que beaucoup pensaient inéluctable, Raymond BARRE, alors premier ministre et économiste reconnu, est contraint d’augmenter les impôts pour maintenir un budget à l’équilibre et une dette sous contrôle, avant de céder le gouvernement suite aux élections de 1981. 

Comme le rappelait justement Éric Zemmour sur RTL le 07 Juillet 2017 : « Le budget n’est plus en équilibre depuis 1981, on est sans doute le seul pays qui n’arrive jamais à un état d’équilibre ». En effet, en 1982, la dette est de 25% du PIB, puis de 34% en 1988, pour passer à 49% en 1993. Les cohabitations n’y changeront rien, l’État est devenu accro à la dépense publique. Ainsi nous voilà aujourd’hui à plus de 115% du PIB. La dette augmente sans arrêt car les dépenses de l’Etat augmentent. Cette hausse continue étant plus forte que l’augmentation des revenus de l’État, un écart se forme : c’est le déficit budgétaire. Ce dernier est ensuite compensé par l’emprunt.

Nous l’avons vu dans notre avant-propos, une dette est l’affaire d’un prêteur et d’un emprunteur. C’est l’État central qui réalise la majorité des emprunts, plus de 80%, le reste étant le fait de la sécurité sociale et des collectivités locales. L’État emprunte donc à des tiers qui sont divisés en deux catégories : les résidents (les Français), et les non-résidents. Pour une grande part, l’Etat s’endette auprès des investisseurs non-résidents qui représentent 64% de la dette publique française. Il s’agit pour la plupart de fonds de pensions, de fonds d’assurance, de fonds spéculatifs, de banques, aucune information publique détaillée ne nous l’indique précisément. Le reste est détenu par des investisseurs Français (du même type cependant). 

En somme, la France a une dette plus importante que la richesse qu’elle crée sur une année, et cette dette est détenue majoritairement par des investisseurs étrangers. Or, la dette a une influence sur le budget de l’État, car il faut la rembourser. 

Le remboursement des intérêts de la dette contractée par l’État se nomme la « charge de la dette ». En France, celle-ci est de 38 milliards d’euros en 2020, soit 10% du budget, c’est-à-dire autant que les budgets de la recherche et de la justice réunis. 

Certains des taux d’intérêts sont fixes, c’est-à-dire qu’ils restent les mêmes durant toute la période de l’emprunt ; d’autres sont variables, c’est à dire qu’ils peuvent évoluer chaque année selon l’évolution d’un indice monétaire de référence (Euribor pour ne pas le citer). L’impact de cette évolution est énorme car en cas de crise, l’indice peut grimper et ainsi les intérêts de la dette grimpent également. 

L’importance de la détention de la dette par les non-résidents est donc capitale, car cela signifie que l’argent de l’impôt des Français enrichit majoritairement des sociétés étrangères – les intérêts étant remboursés sur le budget de l’État. Si la dette était par exemple détenue à 100% par des résidents (c’est-à-dire des Français), ce serait un vase clos, l’argent des Français rémunérant d’autres Français, ce qui permettrait de garder la monnaie dans le « circuit » national. Sans parler de la dépendance qu’engendre la dette. 

Remarquons que notre démonstration s’est essentiellement concentrée jusqu’à présent sur les intérêts de la dette et non de la dette en elle-même. La raison est que nous ne remboursons en réalité que les intérêts et jamais le principal.

Une dette que l’on ne rembourse jamais

L’État, pour éviter de rembourser entièrement et ne payer que les intérêts, emprunte de nouveau pour rembourser son emprunt précédent. C’est le principe de roulement de la dette ; il est fondamental pour la compréhension de notre système d’endettement

Contrairement à un ménage, l’État est « immortel » : il peut s’endetter à l’infini tant que les prêteurs ont confiance en lui et acceptent de lui prêter. Contrairement aux ménages, l’État peut donc émettre des obligations sur de longues périodes comme en avril 2005 où il a émis une obligation à 50 ans. Il s’est donc engagé à rembourser l’obligation en avril 2055, payant entre-temps des intérêts à ceux qui détiennent cette obligation. Une fois arrivé à échéance, l’État réempruntera pour rembourser l’obligation, payant des intérêts aux nouveaux détenteurs pendant encore 50 ans et ainsi de suite. C’est le principe du roulement de la dette. Avec cette astuce, l’État ne rembourse donc jamais vraiment sa dette. Il y a cependant un inconvénient : le taux d’intérêt. 

En effet, si entre l’émission de la dette et son échéance, le taux d’intérêt baisse, cela signifie que pour la même quantité de dette, l’État paye moins cher. Il peut continuer à cumuler de la dette, tant que les intérêts de celle-ci sont remboursables. Mais le jour où les taux d’intérêts remontent, pour une quelconque raison, le refinancement de cette dette peut être de plus en plus difficile et à terme ne plus être supportée par le budget de l’État. C’est le défaut de paiement, la faillite. 

C’est là le problème avec la technique de roulement de la dette : quand les taux d’intérêts sont bas, « tout roule », mais lorsqu’ils augmentent, les États peuvent sombrer. La Grèce a connu cette situation. Elle s’endettait en profitant de taux d’intérêts bas, mais se retrouva dans l’incapacité de rembourser lorsque ceux-ci augmentèrent. 

Nous pouvons donc observer que la dette peut se financer par elle-même à condition de pouvoir subvenir au versement des intérêts, mais que ces intérêts fluctuent et peuvent ainsi gripper la machine. Lorsqu’une dette est sous contrôle et maîtrisée, l’augmentation des taux d’intérêts est un problème mineur. Dès lors qu’un pays est trop endetté et  n’a pas assez de marge de manœuvre budgétaire, ces fluctuations sont des problèmes centraux. On parle alors de surendettement et d’insoutenabilité de la dette. 

Le surendettement et la soutenabilité de la dette

Le surendettement est caractérisé par l’impossibilité manifeste de faire face à l’ensemble de ses dettes “ exigibles et à échoir ”, c’est-à-dire qui peuvent être demandées et dont la date de remboursement est proche. La mesure du surendettement se fait selon deux critères : par le défaut de paiement, ou par le diagnostic d’un seuil de dette “excessive”.

Dans un premier temps, le défaut de paiement. Celui-ci peut être partiel ou total, c’est-à-dire que l’État peut être dans l’incapacité de, ou décider de, ne pas rembourser complètement une créance, ou uniquement une partie. Ce non-remboursement se fait au dépend du créancier (du prêteur) qui perd tout ou partie de sa créance. Dans ce cas, une augmentation des taux d’intérêts peut apparaître directement, voire même l’arrêt pur et simple de tout prêt à destination de cet État. Aucune institution ne voudrait prêter de l’argent à un débiteur ne remboursant pas ses créances, ou bien à un taux d’intérêt proportionnel au risque qu’il prend en le faisant. 

Ainsi donc l’État en défaut de paiement se retrouve sans liquidités (raison pour laquelle il n’a pas pu payer), et dans l’impossibilité d’en obtenir de nouvelles à un taux convenable. Ce défaut de paiement sape la confiance avec les créanciers, c’est le cas de l’Argentine qui, depuis son défaut de paiement de 2001 peine toujours à se financer sur les marchés, 20 ans après. Il existe un moyen d’essayer d’anticiper ces errements budgétaires, qu’utilisent les organisations internationales, c’est l’évaluation de l’excessivité de la dette.

Cette évaluation revient à mesurer si l’État sera en capacité à court ou moyen terme de rembourser la dette qu’il contracte. Il s’agit d’un exercice de prévision qui se fait autour de trois axes qu’il nous faut synthétiser le plus simplement possible. Premier axe, l’évolution de la dette par rapport à l’évolution de la création de richesse, c’est à dire l’écart entre l’augmentation de la dette et du PIB, puis la résilience des finances publiques en cas de chocs plausibles sur l’économie, et enfin l’évaluation de la capacité de remboursement de la dette suite à ces chocs plausibles. Par exemple, un État dont la dette augmente plus vite que son PIB, dont la capacité à lever de nouveaux impôts est limité en cas de choc économique ou financier, dont l’économie est trop peu diversifiée, peut être considéré comme surendetté, je vous laisse vous faire l’idée du Pays en question…

Un surendettement est un poids qui se porte sur le long terme et dont l’issu est souvent peu enviable, une épée de Damoclès pour les contribuables et tous les citoyens du pays qui s’engage dans cette voie. Cette évaluation permet donc de prendre les mesures d’ajustements nécessaires, comme une réduction de la dette par une baisse de la dépense budgétaire par exemple, comme le rappelait Éric Zemmour sur RTL le 07 Juillet 2017 : « J’attends la baisse de la dépense budgétaire ». L’objectif étant évidemment de rendre la dette soutenable, à défaut de la rembourser complètement ce qui serait un non-sens économique (comme nous l’avons vu précédemment). Réunir les conditions de confiance entre l’Etat et ses créanciers, permet une stabilité des taux d’intérêts pour garder une charge de la dette acceptable, il s’agit bien là de la soutenabilité de la dette.

Comment rendre la dette soutenable

La soutenabilité de la dette d’un État est simplement la capacité d’un État à rembourser ses emprunts et donc une mesure de sa solvabilité. Cette solvabilité se mesure en prenant en compte le niveau d’endettement, le PIB, les taux d’intérêts, le taux de croissance, l’inflation et le solde budgétaire primaire (le budget de l’État sans la prise en compte du paiement des intérêts). L’ensemble de ces éléments ont une influence sur la solvabilité d’un État, néanmoins certains sont plus volages que d’autres. Nous avons déjà abordé le niveau d’endettement, le PIB, les taux d’intérêts, il est temps maintenant d’aborder l’inflation et la croissance par le prisme de leurs rôles dans la soutenabilité de la dette.

L’inflation est depuis longtemps un terrain d’affrontement entre les économistes, pour tenter d’être le plus neutre et clair possible nous nous attacherons dans un premier temps à la définition de l’INSEE : « la perte du pouvoir d’achat de la monnaie est matérialisée par une augmentation générale et durable des prix ». En un mot, on parle d’inflation quand la quantité de biens disponible pour la même quantité de monnaie diminue. Les prix augmentent, la valeur intrinsèque de la monnaie diminue.

Quelques explications s’imposent. L’inflation permet de réduire l’endettement grâce à deux éléments. Dans un premier temps, dans une économie en croissance (certes relative) comme la nôtre, si les prix augmentent, le PIB en valeur augmente également. Donc le rapport entre la dette et le PIB diminue sous réserve de ne pas s’endetter encore davantage. Dans un deuxième temps, quand les prix augmentent, tous les revenus augmentent également, les salaires, les recettes fiscales de l’État (plus ou moins selon les ajustements automatiques des dépenses sociales notamment). L’inflation permet donc d’améliorer les capacités de remboursement de celui qui s’est endetté, au détriment de celui qui a prêté. L’inflation est donc un moyen pour l’État de diminuer sa dette, comme par exemple la France, que nous avons évoquée dans l’historique de la dette, qui a vu sa dette diminuer de 160% du PIB à 14%, grâce à la conjonction entre l’augmentation du PIB par rapport à la dette et la croissance générant de l’inflation qui baisse la dette mécaniquement.

Le rôle de la croissance est donc important dans le mécanisme du désendettement et de la soutenabilité de la dette. Nous l’avons vu, la dette est comptabilisée généralement en dette sur PIB, or la croissance économique se mesure à la hausse du PIB sur une période donnée. Mais au-delà de cette considération technique, la croissance signifie qu’il y a une augmentation de la création de richesse en volume (et également en valeur car croissance est souvent synonyme d’inflation), et donc plus de recettes fiscales pour l’État sur tous les tableaux. Ainsi, la part de la dette par rapport au PIB diminue, et la part de la charge de la dette dans le budget diminue également car le budget augmente mécaniquement grâce aux rentrées d’impôts. Ce cercle vertueux permet de prévenir également des hausses de taux d’intérêts dus à des incertitudes causées par une mauvaise gestion du budget de l’État. 

Voilà deux des éléments principaux permettant de rendre la dette soutenable : l’utilisation intelligente de l’inflation pour permettre sur le long terme de réduire mécaniquement le poids total de la dette, et une croissance économique permettant de créer de la richesse supplémentaire. N’oublions pas ce fameux adage Français : « Qui paie ses dettes s’enrichit ».

La dette : un sujet complexe

Certaines personnes dédient leur vie et des thèses universitaires traitant de la dette ; l’objectif de ce texte est de donner des clés de compréhensions synthétiques et quelques éléments de réflexion plutôt qu’un cours magistral sur l’entièreté du sujet. Nous n’avons ici pas ou peu abordé des sujets comme les taux d’intérêts négatifs des obligations, la part des valeurs ajoutées non marchandes dans le PIB qui peut jouer dans l’appréciation de la dette, ni des effets de levier du financement par l’emprunt, la liste est longue. Là n’était ni la question, ni l’objectif, le but étant de comprendre globalement le fonctionnement de la dette en France.

En somme, notre pays s’endette de plus en plus depuis les années 1980, en grande partie auprès d’acteurs économiques étrangers. Les faibles taux d’intérêts depuis ces dernières années nous permettent de nous refinancer facilement, c’est le principe du roulement de la dette. La dette n’est remboursée que grâce à de nouveaux emprunts permettant de ne payer que les intérêts des obligations sans jamais les rembourser vraiment. 

Le problème de cette accumulation de dette est la fragilité de la situation quand cette accumulation ne sert qu’à combler le déficit budgétaire. Un jour, si les taux d’intérêts augmentent, la charge de la dette augmentera également. Le budget de l’État devra y faire face, soit en augmentant le budget (via des impôts), soit en diminuant les crédits aux autres postes de dépenses. 

Si l’État n’est pas en capacité de se refinancer alors il ne peut pas rembourser ses obligations par l’emprunt et est donc en défaut de paiement. L’objectif de maintenir la soutenabilité de la dette est de permettre de ne pas être pris en défaut à cause de différents aléas ou chocs financiers à travers le monde globalisé dans lequel nous vivons. 

La question n’est pas de savoir si l’État doit s’endetter ou pas, mais à quoi sert l’endettement et jusque dans quelles mesures est-il acceptable. Éric Zemmour le dit très bien « Je ne suis pas pour le déficit, pour le déficit ». L’emprunt doit être un investissement sur le futur et pas un financement de son propre train de vie, car rappelons le, la dette est essentielle dans la vie d’un État ; c’est sa mauvaise gestion qui est un fléau. Nier le problème qu’a la France avec la dette est irresponsable ; surjouer la catastrophe l’est tout autant. 

Comme le dit un célèbre proverbe indien : « Il n’est de pire pauvreté que les dettes ».

Axel
Rédacteur

Génération Z

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