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Arc de Triomphe empaqueté : une œuvre qui divise

Du 18 septembre au 3 octobre, notre Arc de Triomphe sera « empaqueté ». Né de l’imagination des artistes Christo et Jeanne-Claude en 1961, ce projet a enfin trouvé sa concrétisation et clive la population. Entre la négation de l’histoire de France et l’éloge de sa culture, les avis sont partagés et font grand bruit. Génération Z vous propose aujourd’hui deux points de vue symbolisant les principaux arguments exprimés par le camp patriote.

Le dernier éloge de Christo

L’empaquetage de l’Arc de Triomphe n’est pas la première création contemporaine de Christo. Autrefois, en 1985, l’artiste avait recouvert le Pont Neuf d’un voile d’or et avait, en 1995, empaqueté le Bundestag, siège du Parlement allemand. Ces deux dernières œuvres avaient ameuté une foule considérable de curieux, jusqu’à 3 millions de visiteurs pour le Pont Neuf, et étaient déjà, à l’époque, l’objet de moultes critiques. L’empaquetage du Bundestag avait notamment soulevé la vindicte de certains citoyens allemands qui considéraient que recouvrir de telle manière le Parlement servait ainsi à minimiser la puissance de leur pays mais aussi à vouloir cacher son histoire. Ces critiques n’ont pas vieilli puisque ce sont les mêmes que nous pouvons actuellement entendre de la part de certains patriotes.

Il ne faudrait cependant pas tomber dans les travers du rejet abusif de l’art contemporain pour des raisons infondées et sans une once de réflexion. L’œuvre de Christo et Jeanne-Claude, autofinancée et accessible librement au public, n’a pas pour but d’effacer l’histoire de France ou la minimiser. L’empaquetage, qui a pour seules couleurs apparentes le bleu, le blanc et le rouge, a pour objectif simple de nous faire comprendre l’importance de notre histoire et de nos monuments. Avec le temps et l’exposition constante, le monument n’est plus regardé avec la même attention par les passants qui le côtoient chaque jour. Ce symbole à la gloire de notre pays aurait de ce fait tout intérêt à être de nouveau observé avec émerveillement. C’est là tout l’enjeu de l’œuvre de Christo : susciter l’envie chez le peuple français de revoir et de redécouvrir l’Arc de Triomphe. En cachant temporairement le monument qui fait désormais, pour certains, partie du décor parisien, Christo cherche à attirer l’attention du peuple afin qu’il se tourne à nouveau vers ce chef d’œuvre d’architecture.

Il n’y a donc en réalité dans l’œuvre de Christo aucune volonté de faire disparaître l’histoire de France ou de l’atténuer. Bien au contraire, par le manque et son effacement du décor, cet artiste cherche à dévoiler toute l’importance que nous attribuons à ce monument dans notre vie quotidienne, dans notre cœur et dans notre histoire.

Un moment mal choisi

Certaines personnes ont également attaqué l’œuvre de Christo sur la période choisie afin d’effectuer cet empaquetage. D’après eux, la France traversant des temps compliqués, il ne serait pas judicieux de recouvrir son histoire et ses monuments qui, de ce fait, laisserait paraître un sentiment de faiblesse. C’est un faux argument car la France, et plus globalement notre civilisation, est assaillie continuellement. Depuis les années 2000, nous avons connu perpétuellement les guerres, les attentats, les crises, les catastrophes climatiques et chaque instant de notre passé ou de notre futur ne sera, pour les adeptes de la pensée manichéenne, le bon moment.

En réalité, par ces temps complexes, nous avons fort besoin de renouer avec notre passé. L’œuvre de Christo nous invite à embrasser un socle commun, à nous rassembler tous ensemble sous l’histoire de France et sous sa culture.

Art et émotion

Les différentes critiques qui ont été émises envers l’œuvre semblent néanmoins refléter une vision sommaire et fausse de l’art ; les principales étant la beauté et l’effacement de la France. La démarche de Christo de cacher afin de mieux susciter le désir s’inscrit parfaitement dans ces deux thèmes et il est alors parfaitement irraisonné de vouloir détruire – ou cancel – une œuvre que l’on ne comprend pas ou selon ses propres critères d’esthétisme. Comme le dit si bien Michel Meyer, nous devons « penser l’art en dehors du beau compris comme sentiment subjectif ». Sinon, nous laisserions le champ du débat et de la définition de l’art en jachère intellectuelle et nous serions dans l’incapacité de dialoguer.

Si vous cherchez corps et âme des raisons pour admettre que l’empaquetage cherche à effacer l’histoire de France, vous allez en trouver ; mais elles seront biaisées. Il est plus facile de vouloir se joindre à la société des indignés plutôt que de réfléchir et de se débarrasser des idées préconçues.

La France empaquetée

Le projet ne date pas d’hier, en effet, l’artiste y réfléchit depuis 60 ans. La France et Paris avaient déjà connu « l’empaquetage » du pont Neuf en 1985. Cela avait fait grand bruit à l’époque; les réticences des Parisiens et même des hommes politiques étaient venues souligner le non-sens artistique d’une telle œuvre, ainsi que son irrespect pour le monument visé. L’exposition connut néanmoins un certain succès auprès du public (plus de 3 millions de visiteurs). Aussi, il est amusant de souligner que ce projet vit le jour sous le septennat de François Mitterrand ce qui n’est sûrement pas l’œuvre du hasard.

Aujourd’hui, le projet de l’Arc de Triomphe ne suscite que peu de réactions, sinon des élogieuses. La mairie de Paris avec Mme Hidalgo en a fait une fabuleuse vitrine, les critiques d’art n’ont de cesse de l’encenser, et les Parisiens se ruent sur la billetterie. Ne reste que les touristes pour s’étonner d’une telle vision : où est-il, cet Arc triomphant ? Cela n’affole que peu de gens mais pourtant cet « empaquetage » est effrayant. De si grands enjeux sont cachés derrière qu’il faut se refuser à en être béat. 

Ce qu’il y a derrière

Du refoulement, c’est sûr ; un certain désir de vouloir recouvrir ce que nous sommes et ce que nous avons été. Derrière ce drap déposé, c’est notre passé qui se voile. Il y a une volonté de repentance qui suinte, une envie d’effacement puis d’un retour à zéro. Comme si nous devions avoir honte de notre Histoire et de notre Art. Comme si nous n’existions plus ; que nous devions cesser d’exister. Ce n’est pas un hasard si Christo et Jeanne Claude expose principalement dans des pays Occidentaux. New-York, Miami, Berlin ont aussi connu leurs expositions. Cette volonté de disparaître sied à notre culture occidentale et il est évident qu’un tel artiste ne pourrait exposer en Chine, en Arabie-Saoudite, ou même en Russie.

Car ces pays ne veulent pas de notre nihilisme, de ce néant. Ils font l’éloge de leur culture et de leur art en les plaçant sur un piédestal intouchable pendant que nous les drapons. L’Art, en Europe, a rayonné par sa beauté, alors pourquoi désormais en avoir honte ? Quel est le but de ce « drapage » si ce n’est de nous oublier ou de nous déconstruire ? À l’heure où les questions identitaires se réveillent et font les sociétés de demain, il est capital d’arrêter cet effacement si nous voulons rivaliser avec les civilisations émergentes qui, elles, ne s’effacent pas. Il en va de notre survie que de nous assumer aux yeux du monde. Nous devons être fiers de ce que nous sommes, fiers de ce que nous avons été et fiers de notre Art. Le contemporain a trop brouillé nos sens; il est désormais temps d’ouvrir les yeux.

Julien Dupuy  (Le dernier éloge de Christo)
Valentin Martel  (La France empaquetée)
Rédacteurs

Génération Z

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